Par Loïc Chauveau le 24.03.2018 à 06h00
Des chercheurs démarrent à Brest une nouvelle campagne de mesures sur l’adaptation des naissains d’huîtres à leur milieu naturel. Des recherches qui pourraient déboucher sur une meilleure compréhension du développement de cellules cancéreuses chez l’homme.
EFFET. L’huître et l’homme, quel point commun ? Une protéine nommée VDAC à l’origine de « l’effet Warburg » (du nom de son découvreur) de prolifération des cellules cancéreuses chez l’homme. Cette relique d’une même origine datant de plusieurs centaines de millions d’années n’obéit pas à des mécanismes similaires chez le mollusque et le mammifère. Alors que l’effet Warburg est irréversible chez l’homme, il semble pouvoir être stoppé ou réactivé chez l’huître en fonction de son environnement très changeant. L’huître ne vit en effet que dans les espaces de balancement des marées, passant son temps alternativement dans l’eau et dans l’air avec toutes les variations thermiques que cela implique.
Des chercheurs de l’Ifremer ont ainsi mesuré pour une seule journée d’avril 2017, des températures passant de 32°C au soleil à marée basse de jour à 13°C à marée haute et 2°C à marée basse de nuit. A chaque fois, il semble que l’effet Warburg s’active et se désactive selon la température, l’huître ne pouvant de toute façon que subir ces différences du fait qu’elle est ectotherme, c’est-à-dire que son organisme ne produit pas de chaleur.
L’homme a une protéine en commun avec l’huître
HERPES. On doit cette découverte publiée en 2014 dans Journal of proteomics à Charlotte Corporeau. Avant de verser dans la biologie marine, cette chercheuse de l’Ifremer a suivi toutes ses études en biologie médicale. «Au début des années 2010, nos équipes ont été mobilisées sur la détermination des causes des mortalités massives d’huîtres subies par les ostréiculteurs, narre Charlotte Corporeau. Nous avons ainsi étudié le rôle majeur de l’herpes virus OsHV-1. En étudiant son mécanisme d’action, nous nous sommes aperçus que le virus détournait à son profit l’effet Warburg ». Sans le passé médical de la chercheuse, ce phénomène serait passé inaperçu. Il intéresse aujourd’hui fortement toute la communauté de la recherche sur le cancer. Pourrait-on un jour utiliser les facultés de la protéine VDAC que l’homme a en commun avec l’huître ? Une perspective suffisamment alléchante pour que la Fondation ARC pour la recherche contre le cancer finance pour 2 ans le projet MOLLUSC coordonné par l’Ifremer avec l’Université Bretagne Occidentale (UBO), le CNRS et l’Inserm.
L’étape suivante a donc lieu ces derniers jours de mars 2018. « Nous avons pour la première fois pu équiper des naissains (jeunes huîtres de 6 mois) d’appareils de mesure de température, poursuit Charlotte Corporeau. Nous allons disposer ces mollusques à différentes hauteurs de l’estran. En haut de l’estran, les animaux seront exposés à l’air 80% du temps de leur vie tandis qu’en bas, d’autres seront presque toujours dans l’eau. Nous pourrons ainsi analyser les réactions de leur organisme ». La dissection du cœur et des branchies, l’analyse du sang devraient ainsi donner tout un éventail des réactions physiologiques des huîtres et de leur activation à volonté de l’effet Warburg.
Enregistrer les battements du cœur de l’huître
CAPTEUR. Cette expérience scientifique met en exergue un petit exploit technique. L’Ifremer a en effet mis au point un capteur de température miniaturisé et autonome adapté à de minuscules naissains. Les chercheurs pourront ainsi corréler la température ressentie par l’huître avec l’activation de son mécanisme anti-warburg. Mais les conditions extrêmes de vie de cet animal incitent à tenter de percer les mystères d’un organisme capable d’encaisser de tels stress thermiques et environnementaux. Des collègues de Charlotte Corporeau essaient ainsi de mettre au point un appareil capable d’enregistrer les battements du cœur de l’huître !